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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

tacle ne nous a pas autrement touchés que la vue d’un tableau que l’on admire, selon que les couleurs en sont plus ou moins brillantes. Il y a plus d’une allée d’ormes et de marronniers dans le monde, et celle-là n’était pas la première que nous parcourions ; qui donc nous y a fait trouver un charme si souverain, qui métamorphosait les feuilles mortes en topazes, les feuilles vertes en émeraudes, qui avait doré tous ces atomes voltigeants, et changé en perles toutes ces gouttes d’eau égrenées sur la pelouse, qui donnait une harmonie si douce aux sons d’une cloche habituellement discordante, et aux piaillements de je ne sais quels oisillons ? — Il fallait qu’il y eût dans l’air une poésie bien pénétrante puisque nos chevaux mêmes paraissaient la sentir.

Rien au monde cependant n’était plus pastoral et plus simple : quelques arbres, quelques nuages, cinq ou six brins de serpolet, une femme et un rayon de soleil brochant sur le tout comme un chevron d’or sur un blason. — Il n’y avait d’ailleurs, dans ma sensation, ni surprise ni étonnement. Je me reconnaissais bien. Je n’étais jamais venu dans cet endroit, mais je me rappelais parfaitement et la forme des feuilles et la position des nuées, cette colombe blanche qui traversait le ciel, s’envolait dans la même direction ; cette petite cloche argentine, que j’entendais pour la première fois, avait bien souvent tinté à mon oreille, et sa voix me semblait une voix amie ; j’avais, sans y être jamais passé, parcouru cette allée bien des fois avec des princesses montées sur des licornes ; les plus voluptueux de mes rêves s’y allaient promener tous les soirs, et mes désirs s’y étaient donné des baisers absolument pareils à celui échangé par moi et Rosette. — Ce baiser n’avait rien de nouveau pour moi ; mais il était tel que j’avais pensé qu’il serait. C’est peut-être la seule fois de ma vie que je n’ai pas