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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

et me mis à genoux devant elle en lui demandant la permission de baiser sa main ; ce qu’elle m’accorda avec une gravité et une dignité singulières.

Assurément, cette femme-là n’est pas aussi dépravée que de C*** le prétend, et qu’elle me l’a paru bien souvent à moi-même ; sa corruption est dans son esprit et non pas dans son cœur.

Je t’ai cité cette scène entre vingt autres : il me semble qu’après cela on peut, sans fatuité excessive, se croire l’amant d’une femme. — Eh bien ! c’est ce que je ne fais pas. — J’étais à peine de retour chez moi que cette pensée me reprit et se mit à me travailler comme d’habitude. — Je me souvenais parfaitement de tout ce que j’avais fait et vu faire. — Les moindres gestes, les moindres poses, tous les plus petits détails se dessinaient très-nettement dans ma mémoire ; je me rappelais tout, jusqu’aux plus légères inflexions de voix, jusqu’aux plus insaisissables nuances de la volupté : seulement il ne me paraissait pas que ce fût à moi plutôt qu’à un autre que toutes ces choses fussent arrivées. Je n’étais pas sûr que ce ne fût une illusion, une fantasmagorie, un rêve, ou que je n’eusse lu cela quelque part, ou même que ce ne fût une histoire composée par moi, comme je m’en suis fait bien souvent. Je craignais d’être la dupe de ma crédulité et le jouet de quelque mystification ; et, malgré le témoignage de ma lassitude et les preuves matérielles que j’avais couché dehors, j’aurais cru volontiers que je m’étais mis dans mes couvertures à mon heure ordinaire, et que j’avais dormi jusqu’au matin.

Je suis très-malheureux de ne pouvoir acquérir la certitude morale d’une chose dont j’ai la certitude physique. — C’est ordinairement l’inverse qui a lieu et c’est le fait qui prouve l’idée. Je voudrais me prouver