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géants, entre lesquels paraissait un édifice de pierre qui avait la forme d’une ruche.

— C’est une chapelle, dit Alemguir, ne manquons pas de rendre hommage au dieu qu’elle abrite et que nous trouvons sur notre route avant toute autre rencontre. Notre prière faite, il sera bon de se reposer à l’ombre du bosquet.

Quelle surprise, lorsque je fus devant l’ouverture de l’édicule sacré ! le dieu de pierre, qui apparaissait au fond sous un dais de velours, était un homme avec une tête d’éléphant.

— Ganéça, le dieu de la Sagesse ! s’écria le prince, le hasard seul ne m’a pas conduit là, devant celui à qui, plutôt qu’à tous, je dois rendre des actions de grâce !

Il s’était agenouillé au pied de l’autel et, à demi-voix, priait.

Pendant ce temps, ne pouvant pas entrer dans la chapelle étroite et peu profonde, j’examinai ce dieu singulier qui, sur un corps d’homme, portait une tête pareille à la mienne et appuyait le bout de sa trompe sur sa main droite. Je voyais le dessus de l’autel que mon maître prosterné ne pouvait apercevoir. Des offrandes toutes fraîches étaient déposées là, dans des plats et dans des corbeilles. Ô joie ! il y avait des gâteaux, du beurre liquéfié, des fruits variés, plus que la nourriture d’un homme pendant trois jours.

Ma trompe atteignait l’autel. Dès que le prince eut achevé sa prière, je posai successivement plats et corbeilles devant lui.

— Les offrandes ! s’écria-t-il ; certes je n’aurais pas osé les prendre, malgré mon extrême besoin ; mais, offertes par toi, je ne peux pas les refuser ; il me semble que le dieu lui-même me les donne… Et peut-être es-tu Ganéça.

Je n’étais pas Ganéça, mais un éléphant très satisfait : mon maître mangeait, et dans ce joli bois où nous étions, toutes sortes de racines et de plantes à mon goût allaient pouvoir me rassasier. Nous ferions une petite sieste, pendant les heures chaudes, puis nous gagnerions