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— Essaye de renverser le mur de terre dans le fossé de façon à le combler, tout en ouvrant une brèche.

C’était compris. Je me mis à l’œuvre. La terre, encore molle, cédait facilement ; mais je ne pouvais éviter un choc sourd quand elle tombait dans le fossé. Le bruit était bien faible, bien étouffé, et cependant il me semblait formidable.

Enfin la brèche était faite ! Je passai, puis, m’enfonçant dans la boue du fossé, je parvins à remonter sur l’autre bord.

Nous étions hors du camp et j’allongeai le pas avec allégresse.

Mais un cri retentit, un cri d’alarme. On nous avait vus dans l’espace découvert que je franchissais à toute vitesse. « Attention, mon maître ! » Je le saisis, je le couchai en travers sur mes défenses, le soutenant avec ma trompe, sans ralentir ma course. Mon oreille très subtile avait perçu le bruit de fusils qu’on armait. On allait tirer sur nous ; mais le prince, protégé par toute la masse de mon corps, ne risquait rien.

Une lueur brusque cingla l’obscurité ; de multiples crépitements éclatèrent, et je reçus une poignée de balles sur la croupe. Elles y rebondirent ; d’ailleurs ces petites billes de plomb n’étaient pas capables d’attaquer la rude peau d’un éléphant. Elles me piquèrent seulement comme des pointes rougies au feu. Une seconde décharge ne m’atteignit pas si ce n’est une balle qui, frôlant mon oreille, l’échancra d’un petit morceau.

Je courais plus vite, voulant atteindre un taillis qui du moins nous mettrait à l’abri des balles.

Au moment où je l’atteignais, j’entendis derrière nous le choc sourd des chevaux qui galopaient.

— Nous sommes poursuivis, dit Alemguir. Il avait repris sa place sur mon cou. Je me jetai au plus épais du fourré, faisant une trouée à l’aide de mes défenses, écrasant les branchages sous mes pieds. Mais cela nous retardait, dénonçait nos traces, laissait un chemin