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Elle prit sa tête dans ses mains ; elle s’enfonça les ongles dans le front.

Tout à coup elle dit à voix haute :

— Voyons, je vais me tuer.

Elle fit un geste joyeux et comme triomphant.

— C’est cela ! c’est cela ! je ne peux pas vivre à présent. Non, je ne peux pas, c’est impossible. Il me semble que ma tête est dans une fournaise. Qu’est-ce que je ferais dans la vie ? Rien du tout… Et puis je ne veux pas. Je n’ai pas la force de souffrir, moi ; je ne suis pas habituée à cela. Mourir, c’est très-simple. On meurt, et le chagrin meurt aussi. C’est pourquoi je me tue.

Elle réfléchit et chercha un moment.

— J’ai un canif, je vais m’ouvrir les veines. D’abord aux pieds, puis aux bras. Ce n’est pas difficile. Tout mon sang coulera. Je deviendrai très-pâle, très-faible, et je mourrai sans souffrir.

Elle chercha parmi ses objets de toilette, prit un canif et l’ouvrit.

— Il coupe très-bien, c’est cela, dit-elle.

Elle posa le canif sur la table.

— Je vais écrire à Adrien, pensa-t-elle. Je lui dirai qui je suis. Comme je serai morte quand il lira ma lettre, il me pardonnera. Oui, je vais lui écrire longuement. Je lui expliquerai tout ce que j’ai souffert cette nuit ; toute ma honte, tout mon repentir ; tout mon amour aussi. Il comprendra. Il se souviendra de moi sans mépris, peut-être avec regret.