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depuis aujourd’hui. L’amour me rachète. Toutes les anciennes infamies sont consumées par l’amour. Adrien, je serai ta femme, et notre existence à deux sera le ciel.

À ce moment, on heurta doucement à la porte.

— C’est moi, Lucienne, dit la voix de M. Provot.

Lucienne bondit sur ses pieds. Un voile de feu passa devant ses yeux, elle laissa échapper un cri sourd pareil à un râle.

— Ah ! je faisais un rêve bien doux, mais le réveil est terrible, se dit-elle. Voilà la réalité : M. Provot, mon amant, qui frappe, parce qu’il a le droit d’entrer. Je voulais être la femme d’Adrien, moi ! Mais tout ce que j’ai, tout ce que je suis appartient à ce vieillard. Les robes qui me parent, la teinture de mes cheveux, le dîner que je mange, c’est à lui. C’est lui qui payera la note de l’hôtel. Pauvre Adrien, je te réservais les restes de cet être ridicule. Je voulais que ton baiser essuyât sur ma bouche les horribles baisers de cet homme ! Je savais bien que je devenais folle.

— Voyons, Lucienne, ne fais pas semblant de dormir, dit la voix de M. Provot, ouvre-moi.

— Avant celui-ci, c’était aussi un vieillard qui pouvait frapper à ma porte. Il était plus vieux encore, mais plus riche ; il avait une santé très-faible ; mais je n’ai pas eu de chance : il n’est pas mort.

M. Provot frappa plus fort.

— Avant lui, c’était un journaliste sans talent, plein d’orgueil et de fiel. Je crus qu’il ferait mon