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moins si votre cœur est libre, si tous n’avez jamais aimé.

— Oh ! jamais ! jamais ! dit-elle avec une vivacité extraordinaire.

— Alors vous m’aimez, n’est-ce pas ? Oh ! vos yeux me l’ont dit ; sans cela je n’aurais pas osé vous parler si tôt. Je les sentais toujours peser sur moi, ces yeux terribles. Je ne les regardais pas, mais ils me bouleversaient, ils me brûlaient. Bien souvent je m’enfuyais pour ne pas vous laisser voir mon émotion.

— Pardon ! pardon ! dit Lucienne, je ne vous regarderai plus.

— Pourquoi ? me serais-je trompé à l’expression de vos regards ? Pourtant je ne suis pas fat, j’ai voulu me convaincre avant de croire. Bien souvent je me suis éloigné de vous, pour voir si vous viendriez à moi ; et toujours vous êtes venue, attirée comme par un aimant. Était-ce donc pour vous jouer de moi ?

Lucienne tourna la tête vers lui et le regarda un instant en silence.

— Je ne puis pourtant pas lui dire que je ne l’aime pas ! murmura-t-elle.

Tout à coup elle se leva.

— Je vous aime, Adrien ! s’écria-t-elle ; je vous aime follement, comme on n’a jamais aimé ! je vous adore !

Puis elle s’enfuit. Mais Adrien la rejoignit.

Prenez mon bras, mademoiselle, dit-il d’une