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chemire blanc ; les bouts de ce voile flottaient autour d’elle. Elle songea que cette blancheur pouvait la faire remarquer d’en bas, et elle s’étendit sur l’herbe. Mais lorsqu’elle vit venir Adrien, elle se leva et marcha vers lui.

Il lui prit les mains, et la regarda un instant avec tant de douceur, que la crainte qui glaçait le sang de Lucienne s’évanouit comme la gelée au soleil.

— Vous avez deviné, n’est-ce pas ? lui dit-il, vous savez ce que je veux vous dire ?

— Moi ? non, je n’ai rien deviné, dit la jeune fille, d’une voix si faible qu’il l’entendait à peine.

— Vous feignez de ne pas me comprendre, Lucienne ; vous voulez m’entendre dire que je vous aime.

— Vous m’aimez ! vous !

— De toute mon âme, et depuis longtemps. Vraiment, ne le saviez-vous pas ?

— Comment l’aurais-je su ? vous avez toujours été avec moi plein de froideur, vous sembliez me fuir plutôt que me chercher. J’ai cru, au contraire, que je vous inspirais de l’aversion.

— Me reprocherez-vous ma réserve et mon respect, Lucienne ? L’amour qui m’envahissait était trop grand et trop profond pour que je consentisse à le gaspiller en galanteries vulgaires. Et puis, je l’avoue, au commencement je luttais contre lui. Bien des choses en vous m’inquiétaient, je ne voulais pas vous vouer toute ma vie sans réflexion ; j’étais sévère pour moi-même ; je faisais taire l’ardeur de