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souffle lui manquait ; elle avait envie de crier, de se jeter dans les bras du jeune homme ; mais elle restait immobile sur le tabouret du piano, comme fascinée.

En ce moment, Jenny entra brusquement, très-rouge et très-agitée.

— Maman te demande, dit-elle à son frère. — Tu sais, ce n’est pas vrai, continua-t-elle en parlant à Lucienne quand Adrien se fut éloigné, mais j’ai quelque chose à te dire.

— Quoi donc ?

— Oh ! une confidence, quelque chose d’extraordinaire. Devine…

— Comment veux-tu ? …

— J’ai un amoureux.

— Es-tu folle ? s’écria Lucienne très-effrayée.

— Est-ce que tu vas me faire de la morale ? Alors je ne dis plus rien. C’est très-gentil d’avoir un amoureux, je veux dire quelqu’un qui vous aime ! Toutes mes amies, à la pension, disent qu’elles en ont un, ou même deux. Est-ce que tu n’en as pas, toi ? Oh ! si ! tu es trop jolie ! Je parle pour la demi-douzaine. Tu sais, maman me croit très-niaise ; mais je ne le suis pas tant que ça. Elle s’imagine que je n’ai pas lu de romans ; elle se trompe. Malviua, la femme de chambre, m’en a prêté ; je volais des bouts de bougie, et je lisais, le soir, dans mon lit.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! murmura Lucienne.

Jenny éclata de rire.

— Tu es impayable, dit-elle : je ne t’aurais pas