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cocher faisait claquer son fouet. On se mettait aux fenêtres pour voir passer ce beau tintamarre. Puis on roula sur la terre unie d’une grande route, ce qui permit de causer. Madame Després demanda à M. Provot s’il aimait les ruines.

— Ma foi, dit-il, au point de vue de la curiosité, je ne dis pas qu’elles n’offrent quelque intérêt, mais à tout autre point de vue, un bon hôtel bien construit et presque neuf…

— Vous ne savez ce que vous dites, mon oncle ! interrompit vivement Lucienne, il ne s’agit pas de savoir quel est le meilleur local pour abriter des rhumatismes.

— Comme tu me parles, ma nièce ! dit M. Provot.

— C’est vrai ; pardon, mon bon petit oncle ! pourquoi m’avez-vous tant gâtée ? répondit Lucienne d’un air contrit très-bien joué.

— Moi, j’aimerais à habiter des ruines ! dit Jenny.

— Avec les chouettes et les chauves-souris ? demanda Adrien en se retournant à demi.

— Oh ! non, non ! je leur ferais donner congé avant d’emménager.

Lucienne pensait qu’avec « lui » elle pourrait bien habiter une ruine, une cave, un cachot ; et se trouverait heureuse !

Jamais une promenade en voiture ne lui avait causé un tel plaisir ; elle aspirait délicieusement l’air tiède chargé du chaud parfum des fermes. Des canards barbotant dans une mare, une volée d’oiseaux pillant un buisson de mûres, une abeille sus-