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— Ah ! je l’adore. Ce n’est pas comme mon frère. Ce vilain Adrien ne peut pas la souffrir.

— Ah ! dit Lucienne.

— Et vous, l’aimez-vous ? reprit Jenny.

— Quelquefois, répondit Lucienne en levant les yeux vers le jeune homme.

On se retira de bonne heure, et, malgré la fatigue du premier bain de mer et de l’air vif des plages, Lucienne ne put dormir. Elle appelait cependant le sommeil de toutes ses forces, pour n’avoir pas les yeux gonflés le lendemain ; mais sa pensée ne voulait pas se taire et la tenait éveillée. Elle s’endormit un peu vers le matin et se leva tard.

Lorsqu’elle arriva sur la plage, Adrien était appuyé à la coque d’un canot tiré sur le galet ; il regardait la mer en fumant une cigarette.

Au bruit que fit Lucienne descendant sur les pierres, il se retourna et la salua ; puis il reporta ses regards vers l’horizon. Comprenant qu’il avait déjà pris son bain, elle déclara à son oncle qu’elle n’avait pas envie de se baigner, et tandis que M, Provot allait s’enfermer dans une cabine pour se déshabiller, elle s’assit sur les galets à quelque distance du jeune homme.

Elle le regardait souvent à la dérobée, mais son regard n’avait plus rien de son effronterie accoutumée ; il était humble, presque craintif en se levant vers lui. Elle sentait confusément que cet homme pouvait bouleverser sa vie et lui apprendre à connaître le chagrin, le désespoir même. Il lui apparais-