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— Il m’ennuie, ce beau dédaigneux ! murmura-t-elle, en se levant avec humeur.

Et laissant M. Provot qui attendait le moment de fumer son cigare, elle sortit et remonta dans sa chambre.

Là, elle se jeta sur un canapé, et demeura longtemps immobile, les regards fixés à terre.

Sa rêverie vagabondait comme un cheval débridé, mais revenait toujours au même point de départ, ce jeune homme qu’elle ne connaissait pas. Sans chercher à se rendre compte de ce qu’elle ressentait, elle se laissait aller à l’impression qui l’envahissait en l’étourdissant comme un vin capiteux.

Les actes de sa vie passée tourbillonnaient dans sa pensée, comme s’ils s’enfuyaient pour se perdre à jamais dans l’oubli. Rien ne lui semblait devoir laisser de trace dans son souvenir ; et elle se demandait comment elle s’y était prise pour arriver à l’âge qu’elle avait sans mourir d’ennui.

Cependant, qu’était-il survenu dans sa vie ? Peu de chose. Elle avait déjeuné à côté d’un inconnu, qui l’avait regardée avec indifférence. Et cela suffisait à emplir de pensées son esprit vide d’ordinaire !

Un bruit de pas sur le bitume du trottoir la fit se lever d’un bond et courir à la fenêtre.

Elle se pencha pour regarder : c’était M. Duplanchet qui se rendait aux écuries.

— Décidément, je suis folle ! se dit-elle, en appuyant sa main sur son cœur ; j’ai cru que c’était