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— Oui ! oui ! ce cher Stéphane ! dit Lucienne, ce cœur incomparable, qui veut bien m’aimer telle que je suis ! Je l’aimerai et il me consolera.

Mais la vérité, c’est que son amour pour Adrien s’était réveillé plus ardent que jamais.

Il l’aimait toujours ! n’était-ce pas là un sujet de joie ? L’esprit de la jeune fille, surexcité par la fièvre, travaillait sans cesse. Elle imaginait mille combinaisons qui le ramèneraient à elle. La vie n’était pas finie ; ils étaient jeunes tous deux ; on pouvait espérer encore.

Cependant, cette agitation qui la dévorait amena une rechute, des troubles nerveux, des accès de fièvre chaude. Le docteur Dartoc demanda une consultation. On fit venir des médecins de Paris, et ils laissèrent peu d’espoir de sauver la malade.

Lucienne bientôt se sentit perdue.

Quand elle comprit qu’elle allait mourir, cette conviction lui causa une sorte de joie.

Mais alors un désir germa dans son esprit, et, grandi par la fièvre, devint promptement impérieux et irrésistible : elle voulait revoir encore Adrien avant de mourir, ou tout au moins, apercevoir, comme l’autre fois, son ombre derrière le rideau de sa fenêtre.

Elle rumina continuellement cette pensée, et souvent, dans les hallucinations de son demi-sommeil, elle se croyait en route pour Rouen. Elle s’éveillait et se retrouvait dans son lit, puis s’assoupissait de nouveau et reprenait son voyage.