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pieds, dans la vallée, avec ses toits bleus, son interminable rue, sa petite rivière et son port hérissé de quelques mâtures grêles. Quelques barques de pêche rentraient ; elles glissaient rapidement, leurs voiles blanches ou brunes gonflées sous lèvent.

— Moi aussi, je touche au port, se disait Lucienne.

La première étoile trembla entre deux nuages. Sur la plus haute falaise de l’autre côté du port, le phare s’alluma, et au bout de la jetée on hissa lentement une lumière rouge au sommet d’un mât.

La pluie commençait à tomber.

— Le ciel est couvert, c’est pour cela qu’il fait si sombre, murmura Lucienne, il n’est pas tard.

Les lumières s’étaient allumées dans la ville. Puis, une à une, elles s’éteignirent. Le phare resplendit seul dans la nuit plus sombre. Comme un autre signal, une forme blanche demeura sur la falaise, droite, immobile, jusqu’au matin.

Lorsque le jour parut, Lucienne poussa un cri terrible qui domina un instant la rumeur de la mer.

— Il est mort ! hurla-t-elle. Il est mort, puisqu’il n’est pas venu !

Elle descendit la pente de la colline comme un bloc qui roule, traversa la ville en courant, et entra dans son logis désert. Glacée, tremblante de fièvre, elle arracha sa jolie toilette, trempée de pluie et pleine de boue, et mit une robe noire. Elle ouvrit un tiroir, prit une poignée d’argent, puis saisit un chapeau à l’étalage, et le posa sur sa tête en s’élançant dehors.