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le diable se fait ermite. Tout cela cache quelque chose.

— Assez, monsieur ! s’écria le marin d’une voix qui fit trembler les vitres ; et sortez d’ici, où vous n’avez que faire.

— Comment ! Lucienne, c’est ainsi que tu laisses traiter un ancien ami qui te retrouve ! dit M. Provot.

— Allons ! silence, et décampez ! dit le vieillard en le poussant promptement dehors, tandis que la jeune fille fondait en larmes.

Lucienne fut longtemps à se remettre de l’émotion pénible que lui avait causée la brusque apparition de M. Provot. Cette dernière phase de sa vie passée, surgissant devant elle dans la personne de ce vieillard, lui fit horreur et l’épouvanta. Ceux qu’elle avait oubliés se souvenaient d’elle ! on la reconnaissait, on lui parlait sur le même ton qu’autrefois ! Tout ce qu’elle avait accompli pour se racheter, pour effacer à jamais sa première existence, était donc vain ! Cet homme pouvait faire rentrer l’ancienne Lucienne, celle qu’au théâtre on appelait Cornaline, au nombre des vivants, révéler le subterfuge de sa mort simulée, renverser tout l’édifice si péniblement élevé. Cette appréhension la bouleversa tellement, qu’elle tomba malade. Une fièvre nerveuse la retint au lit plus d’un mois. Mais les soins intelligents et dévoués que lui prodigua M. Lemercier la guérirent, et ses exhortations finirent par ramener le calme et la confiance dans l’âme de la jeune fille. Peu à peu, l’impression pénible s’effaça tout à fait.