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XI


Lucienne aimait Stéphane autant que cela était possible avec un cœur plein d’un autre. Ce qu’elle éprouvait pour lui était quelque chose de plus que l’amitié ; c’était cette sorte de tendresse presque maternelle que ressentent souvent les femmes pour l’homme à qui elles inspirent une passion profonde et véritable. L’amour qu’on a fait naître est un peu votre enfant, et l’on a pour lui des compassions et des douceurs de mère ; surtout lorsque celui qui porte cet amour est jeune, beau, ou environné d’un prestige quelconque. De plus, Lucienne était profondément reconnaissante à Stéphane du respect qu’il lui témoignait, lui qui connaissait sa vie. Il l’eût épousée, celui-là, pardonnant ses fautes passées, sans un reproche, sans une allusion blessante ; tandis qu’Adrien, s’il savait la vérité, repousserait peut-être loin de lui celle qu’il avait aimée.

L’amour de Stéphane était plus violent, plus absolu que celui d’Adrien, Lucienne le comprenait bien ; mais cela ne diminuait en rien son amour à elle ; au contraire, l’inquiétude, le vague effroi que lui ins-