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fâchée, n’est-ce pas une ravissante jeune fille ?

— Je l’ai peu vue, et voici déjà longtemps.

— Vous m’avez vue moins encore.

— Pardon, je vous ai regardée pendant toute une soirée ; aussi je n’ai rien oublié de vous.

— Pas même la couleur de mes cheveux ?

— Ils étaient d’un blond ardent ; mais vous êtes plus belle avec la nuance naturelle de vos cheveux.

— Jenny, elle, est presque blonde, reprit Lucienne ; elle est fraîche comme le printemps, gaie, spirituelle et bonne.

— Si vous voulez, je l’épouserai pour être plus près de vous, dit Stéphane.

— Il faudra l’aimer d’abord.

— On n’aime pas deux fois, dit le jeune homme d’un ton qui n’admettait pas de réplique.

Lucienne était souvent effrayée de la façon dont il lisait dans son cœur ; elle mesurait, à cette singulière répercussion de ses pensées dans celles du jeune marin, la profondeur de l’amour qui l’attachait à elle. Quand un rêve triste l’avait impressionnée, quand la séparation lui pesait plus que de coutume, elle avait beau sourire et dissimuler, il la devinait. Quelquefois il poussait l’abnégation jusqu’à lui dire :

— Parlez-moi de lui, cela vous soulagera.

Et souvent elle cédait à ce besoin irrésistible de parler de l’être aimé. Alors son visage resplendissait de joie ; sa pâleur s’animait d’un imperceptible ton rose ; ses yeux ardents se noyant dans un fluide, lumineux, elle parlait abondamment, égrenant ses