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la passa à plusieurs reprises sur son front et sur ses joues.

— Je dois vous faire l’effet d’un fou furieux, dit-il ; quelle singulière réception je vous ai ménagée là !

— Enfin, que s’est-il passé, qu’aviez-vous ? dit Lucienne, en mettant le pied sur la première marche de l’escalier.

— Quand nous serons seuls, je vous le dirai, si je l’ose, murmura Stéphane, un doigt sur ses lèvres.

À table, Stéphane raconta les événements de son dernier voyage avec une gaieté fébrile. Il parlait, mangeait, buvait, d’une façon exagérée, comme pour détourner l’attention de son père et l’empêcher de lire dans sa pensée.

Le vieillard jetait cependant de temps en temps un regard inquiet sur le visage enflammé de son fils, et, d’un signe, il commandait à Bernard d’ouvrir la fenêtre, croyant que Stéphane avait peut-être trop chaud.

Lucienne, encore troublée de la scène bizarre et imprévue qui avait eu lieu entre elle et le jeune homme, avait peur de le voir tomber tout à coup frappé d’une congestion cérébrale.

— Il est bien singulier ! se disait-elle en le regardant vider son verre coup sur coup. Il m’effraie, et il m’inspire cependant une vive sympathie.

Et elle cherchait à deviner quelle explication de sa conduite il pourrait bien lui donner ; elle ne trouvait pas. D’ailleurs, il lui laissait peu le loisir de réfléchir. Ses récits étaient si vifs, si attachants, si pleins