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la rue, imprégnant de ce tableau pour ne plus jamais l’oublier.

Tout à coup elle trembla de tous ses membres, et se cramponna d’un mouvement nerveux au dossier du banc de bois. Adrien s’avançait lentement, nettement éclairé par les lumières des boutiques. Il avait un portefeuille sous le bras.

Lucienne fit un mouvement pour courir à sa rencontre ; mais elle s’arrêta, et, les mains jointes, retenant son souffle, elle le regarda avec adoration.

Il marchait la tête baissée, les regards fixés au sol. De temps en temps il s’arrêtait, comme quelqu’un de préoccupé qui oublie où il est et ce qu’il fait.

— Il est triste, il souffre, se disait Lucienne. S’il pensait tout haut, mon nom serait sur ses lèvres.

Il était arrivé à la porte de sa maison, il sonna deux coups. Lucienne entendit vibrer le timbre. La porte s’ouvrit, puis se referma sur lui.

— Ah ! c’est horrible ! se dit-elle, si près de lui, et si loin ! Il ne devine donc pas que je suis là.

Une autre fenêtre du premier étage s’éclaira, le store n’était pas baissé. La jeune fille vit un valet de chambre qui portait une lampe ; puis Adrien entra ôtant ses gants. Il allait et venait par la chambre, il s’approcha de la fenêtre et y resta un certain temps, regardant l’obscurité, comme si un attrait mystérieux l’eût retenu là. Lucienne voyait très-nettement sa silhouette se découper sur la lumière intérieure, ses épaules larges et élégantes, sa tête fine aux cheveux touffus. Une fois, il se tourna à demi pour ré-