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presque nuit, on allumait déjà les becs de gaz. Lucienne ne connaissait pas la ville ; après avoir erré quelque temps au hasard, elle demanda son chemin à une paysanne qui poussait une petite voiture à bras, le long du trottoir.

— Tout dret et puis à gauche, lui répondit-on.

La jeune fille se hâta, et atteignit bientôt la rivière. Elle suivit le cours Boïeldieu, en prenant le trottoir du côté de la Seine, plus obscur et plus solitaire ; elle passa devant la Bourse, devant l’hôtel d’Angleterre, et fut bientôt en face de la maison qu’elle cherchait.

C’était un petit hôtel en pierre, à toit d’ardoises, haut de trois étages. De riches moulures encadraient les fenêtres et la porte en chêne sculpté, à deux battants, comme une porte de salon ; elle était ornée de ferrures polies qui luisaient à la lumière d’un réverbère voisin. Lucienne compta cinq fenêtres de façade ; celles du rez-de-chaussée étaient grillées ; il y avait un sous-sol qui, dans ce moment, était vivement éclairé. Le reste de la maison était obscur, à l’exception de deux fenêtres du premier étage, d’où s’échappait une lueur douce à travers les stores baissés.

La jeune modiste, pelotonnée sur un banc, sans prendre garde au froid ni aux quelques flocons de neige qui commençaient à tomber, regardait de tous ses yeux. C’était donc là qu’il vivait, il entrait et sortait pas cette porte, il s’accoudait à ces balcons ! Lucienne se sentait jalouse des pierres de la maison.