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l’entend prononcer trop rarement, dit le vieillard. Mais vous aurez un frère, ma fille ; car j’ai un fils, un loyal et brave garçon, un homme de cœur, presque un héros. Je suis fier de lui, je l’avoue ; je l’aime comme on aime un fils unique. Mais, hélas ! la mer me le prend ; il est lieutenant de vaisseau dans la marine militaire. Il s’appelle Stéphane, ajouta-t-il avec une intonation touchante.

— Pauvre père ! dit Lucienne. Je comprends maintenant pourquoi votre front s’assombrit lorsque le vent se déchaîne et bouleverse l’Océan ; pourquoi, les jours qui suivent une tempête, le journal tremble dans votre main, lorsque vous le consultez.

— Que voulez-vous ? on est lâche lorsqu’il s’agit de l’être cher. Moi qui riais au nez du cyclone et maudissais les temps calmes, je redoute pour lui les plus faibles grains.

— Vous ne le voyez donc jamais, ce fils bien-aimé ?

— Si je ne le voyais jamais, la vie ne serait pas possible, s’écria le vieux marin. Il a des congés, et c’est toujours auprès de son père qu’il vient les passer. Je l’ai eu deux jours l’été dernier ; dans un mois je le verrai. Vous le verrez aussi ; vous l’aimerez, j’en suis sûr. En ce moment il est sur les côtes d’Afrique, ce cher Stéphane.

Et il se laissait aller à parler longuement du fils absent, il racontait ses exploits, les combats dans lesquels il s’était signalé, comment il avait mérité la croix d’honneur qui décorait déjà sa poitrine,