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tête ; le ciel est redevenu bleu, et voici que je gagne de l’argent.

Le vieillard étudiait l’esprit de sa nouvelle amie, et s’apercevait qu’il était peu cultivé, mais très-ouvert et très-fin. Il existait de nombreuses lacunes dans son instruction. Elle avait beaucoup lu ; mais c’était surtout les plus médiocres productions de la littérature moderne.

— Mon enfant, lui dit-il un jour, vous êtes destinée à vivre dans le monde ; votre ambition est de devenir la compagne d’un homme distingué, et vous ne devez pas être inférieure à lui. Il est inutile d’arracher de votre esprit toutes les herbes folles qui y poussaient à foison si vous ne semez rien à la place. Je vous l’ai dit, j’ai une idée. Tandis que vous ne songez qu’à détruire, je songe moi à réédifier. J’ai beaucoup vu, beaucoup appris. Voulez-vous que je vous donne un peu de ce que je sais, sans vous fatiguer, tout en causant ?

— Comment ! vous prendriez vraiment cette peine ! vous feriez encore cela pour moi ! s’écria Lucienne, en fixant sur lui un regard brillant de joie.

— N’a-t-on pas plaisir à voir fleurir une plante que l’on cultive ? dit-il ; je suis oisif et seul, je ferai pour vous ce que j’eusse fait pour ma fille.

— Votre fille ! me permettez-vous alors de vous appeler : père ? Un mot que je n’ai jamais dit à personne.

— Ce nom sera une caresse pour mon oreille, qui