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de l’enfant en nourrice à la campagne était arrivée jusqu’à elles, avec toutes sortes d’enjolivements et d’amplifications. Elles se croyaient donc en droit de regarder du haut de leur vertu intacte cette petite aventurière.

La pauvre Lucienne ne comprenait pas ce qu’on pouvait avoir contre elle. N’était-elle pas vêtue de la façon la plus modeste, toujours en noir, avec un étroit col blanc ? Ne travaillait-elle pas constamment, et pouvait-on trouver dans sa manière de vivre quelque chose de répréhensible ? Pourquoi ces jeunes filles, dans une position analogue à la sienne, à qui elle aurait dû inspirer de la sympathie, lui témoignaient-elles des sentiments hostiles ?

Elle oubliait, à son tour, qu’elle avait des yeux doux et ardents, des lèvres roses, et un charme extrême dans toute sa personne ; et que ce sont là des choses qu’on ne se fait pas aisément pardonner.

Elle entendait la rumeur sourde de la calomnie bourdonner autour d’elle, et elle avait des moments d’affreux désespoir, qui la faisaient sangloter la nuit dans son lit, tandis que le vent hurlait au dehors et qu’on entendait la plainte de la mer.

Comme elle se sentait seule alors, perdue, oubliée ! L’injustice, l’envie, la méchanceté venaient frapper sur elle, pour rendre plus pénible encore la vie qu’elle s’était choisie. Il lui semblait que personne n’avait jamais souffert autant qu’elle souffrait, et elle pleurait sur elle-même, la figure dans ses