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surveillaient leur proie avec une patience de chasseurs à l’affût. Elle n’aurait pu sortir de chez elle sans rencontrer l’un ou l’autre de ces jeunes hommes. Elle ne sortait donc plus, et c’était une dure privation pour elle de renoncer à ses pèlerinages le long de la grève.

Lucienne n’était pas seule à remarquer les assiduités de la jeunesse de F… ; bien des paires d’yeux suivaient les faits et gestes des trois soupirants avec une avide curiosité. Cette attention dont la nouvelle modiste était l’objet inspirait une vive jalousie à plusieurs des voisines de Lucienne. Les demoiselles Lenoir, qui tenaient la librairie de l’autre côté de la place, avaient le nom de mademoiselle Perrault au bout de la langue du matin au soir. Elles étaient scandalisées de ce qui se passait ; elles ne tenaient nul compte à Lucienne de sa réserve ni du soin qu’elle mettait à se dérober aux regards, prétendant que c’était une ruse pour mieux enflammer ses adorateurs.

— Ces messieurs savent sans doute à qui ils s’adressent, disaient-elles ; ce sont des jeunes gens très-convenables. Les avons-nous jamais vus flâner autour de notre magasin ?

Elles oubliaient qu’elle étaient toutes trois fort déplaisantes à voir.

Lucienne, qui, pour tromper son ennui, allait quelquefois louer des livres chez ses voisines, s’aperçut qu’elles affectaient de plus en plus à son égard une froideur dédaigneuse. L’absurde histoire