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La boulangerie de madame Heurtebise n’était pas fermée ; Lucienne y entra précipitamment sous prétexte d’acheter un petit pain.

La boulangère, en toilette claire, une chaîne d’or au cou, les doigts chargés de bagues, les cheveux disposés en une infinité de petites boucles, était assise derrière son comptoir et, à la clarté du gaz, lisait un roman. Elle poussa un cri et laissa tomber son livre, à l’entrée brusque de sa voisine.

— Ah ! pardon, vous m’avez fait peur ! dit-elle. Mais vous êtes toute rouge et tout essoufflée, vous serait-il arrivé quelque chose ?

— Je suis un peu poltronne, dit Lucienne ; il m’a semblé qu’un homme me suivait, un matelot ivre peut-être ; alors je me suis mise à courir.

— Savez-vous que c’est terrible ! dit la boulangère d’un air effrayé, il aurait pu vous assassiner ; c’était peut-être un voleur.

— N’écoutez pas ma femme, dit M. Heurtebise qui était sorti de l’arrière-boutique où il surveillait le travail des mitrons, c’est la pire des poltronnes ; il n’y a jamais eu de voleurs dans ce pays-ci, et il n’arrive jamais rien.

— Pourtant j’ai été poursuivie, dit Lucienne, et j’ose à-peine vous avouer que je redoute de faire seule les quelques pas qui me séparent de ma maison.

— Vous avez si peur que ça ? Allons, venez, je vous accompagne, dit le boulanger en riant.

— J’accepte avec plaisir, dit Lucienne, et je vous