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Là, elle s’arrêtait souvent, savourant à chaque pas un souvenir. Elle faisait de longues stations sous la fenêtre de la chambre qu’elle avait habitée, cherchant sur la muraille quelques traces, invisibles pour un œil indifférent, de légères égratignures produites par le frottement d’un pied contre le plâtre. C’était Adrien qui avait fait ces marques-là, le jour où il s’était amusé à grimper jusqu’au balcon de Lucienne.

La jeune fille demeurait des heures entières absorbée, insensible à l’ouragan qui secouait ses vêtements autour d’elle. Lorsqu’elle s’en revenait, au soleil couchant, trempée de pluie, échevelée, tout étourdie par le vent, on rayonnement de joie éclairait ses yeux.

Elle était décidée à vivre de son travail ; mais les clientes semblaient décidées, elles, à ne pas venir chez la nouvelle modiste. Elle se crut un instant entourée d’un cercle de réprobation que personne ne voulait franchir, et elle conçut de vives inquiétudes. Aussi la visite de madame Maton, accompagnée de son amie et de Max, lui avait-elle causé, le premier instant d’embarras passé, un grand plaisir. Ces deux dames étaient les plus distinguées de la ville ; on tâchait de les imiter, et là où elles étaient venues les autres viendraient.

Elle apporta donc le plus grand soin dans l’exécution de l’ouvrage commandé. Les quelques mois d’apprentissage qu’elle avait faits autrefois à Paris avaient suffi pour donner à ses doigts une certaine