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qu’elle aurait voulu effacer pour toujours de sa mémoire ; les femmes impudentes qu’elle avait connues et qui lui parlaient sur un ton d’égalité ; les hommes d’esprit léger qui l’accablaient encore de compliments fades ou injurieux ; et elle riait ! et elle leur répondait dans un langage qu’elle avait depuis longtemps répudié !

Quelquefois elle se voyait sur la scène, court vêtue, dansant une danse grotesque, ou chantant des couplets d’opérette. D’autres fois, c’était dans un cabinet de restaurant ; elle soupait, en costume de théâtre, au milieu des éclats de rire et des plaisanteries grossières de ses camarades. Mais alors, interrompant ces horribles joies, un beau jeune homme, pâle de colère, surgissait, et lui disait d’une voix terrible : « Vous êtes une infâme ! je vous connais ! » Les cris d’effroi qu’elle poussait l’éveillaient bientôt, et elle s’efforçait de ne plus dormir pour échapper à ces horribles cauchemars.

Le dimanche, elle allait à la grand’messe, non par dévotion, mais pour ne choquer aucun préjugé. Puis, dans l’après-midi, ces jours-là, sans prendre garde ni au froid ni à la pluie, elle s’en allait vers la mer, comme si elle eût couru à un rendez-vous.

Les lames, souvent furieuses, qui se ruaient sur la rive avec un bruit semblable à des décharges d’artillerie, ne l’épouvantaient pas. Elle luttait avec énergie contre le vent qui l’empêchait d’avancer ; elle se laissait éclabousser par l’écume de la mer, et longeait lentement l’hôtel des Bains, fermé et désert.