Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Duplanchet, dans une attente pleine de dignité, embrassait avec satisfaction l’ensemble de son domaine.

La falaise se dressait derrière les constructions encadrant la rougeur sombre des roches nues de l’admirable velours du gazon normand. Tout au faîte, des champs de blés dorés ou bruns tremblaient sur le bleu pâle du ciel, la nature s’ingéniait à harmoniser les couleurs, à les unir par des transitions d’une infinie délicatesse. La casino au contraire était net, brutal, criard ; la nature avait beau faire, elle ne pouvait se l’assimiler, il tranchait impitoyablement, se refusant à tout accord. M. Duplanchet s’inquiétait peu de cela.

Un bruit lointain de grelots et de chevaux qui trottent se fit entendre du côté de la ville. Le maître d’hôtel passa vivement sa main nue chargée de bagues sur sa chevelure collée par une pommade abondante. Un omnibus tourna l’angle du restaurant ; M. Duplanchet sourit, l’omnibus approcha. Mais il était vide. Une grande surprise se peignit sur les traits de l’ancien commerçant.

— C’est curieux, se dit-il, personne. Les étrangers sont en retard cette année. C’est égal, ils ne peuvent manquer de venir. J’ai fait tout ce qu’il fallait : articles dans les journaux, grandes affiches bleues avec une vue au milieu — et puis, un si bel endroit !

Il regarda encore une fois à sa montre.

— Allons ! fit-il.