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promenèrent par groupes dans les bas côtés de l’église ; et, quand leur va-et-vient les amenait près d’elle, Lucienne cachait son visage dans ses mains comme absorbée par la prière, mais elle prêtait l’oreille et cherchait à saisir quelques lambeaux des conversations tenues à mi-voix, ayant la curiosité de savoir si on la regrettait.

On parlait fort peu de la morte, et les causeries étaient plutôt gaies que tristes. Lucienne entendit pourtant des phrases comme celles-ci :

— A-t-elle été vite emportée, la pauvre fille !

— Sa mort ne m’a pas surpris, cependant : la dernière fois que je l’ai vue, j’ai bien deviné qu’elle n’en avait pas pour longtemps.

— C’est dommage, elle était jolie !

Lucienne avait beau s’en défendre, cette indifférence lui serrait le cœur. Pourtant, elle n’était pas en droit d’attendre plus d’intérêt de la part de ces gens qu’elle aimait fort peu et dont la perte l’eût faiblement affectée ; mais s’ils mouraient, eux, d’autres, sans doute, les regretteraient et les pleureraient, tandis que pas une larme n’était versée sur sa mort à elle.

Le suisse fit résonner les dalles sous sa lourde canne, et la porte du milieu s’ouvrit toute grande. Le cortège était arrivé. Le cœur de Lucienne battit plus fort.

On apporta le cercueil et on le posa sur les tréteaux ; puis on jeta par-dessus un grand drap blanc orné d’une croix.