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— Comment que je la reconnaîtrais ? je ne la connais pas, dit le paysan.

— Mam’zelle Perrault.

— La petite Lucie ? C’est-t’y Dieu possible, ça serait elle ? s’écria-t-il, tandis qu’une véritable émotion adoucissait l’expression de son visage.

— C’est elle-même, dit Lucienne, en lui tendant la main.

Le bonhomme prit cette petite main blanche dans les deux siennes et la serra avec effusion.

— Ça fait plaisir tout de même ; ça me rajeunit, dit-il.

— Oui, de son temps, tu n’étais pas ce que tu es aujourd’hui, dit Marie ; tu ne buvais pas et tu travaillais.

— C’est vrai que, depuis la mort de ma pauvre femme, je me suis un peu dérangé ; mais n’faut pas le dire devant la demoiselle, ça m’humilie. Parlons de l’ancien temps, plutôt. Nous avez-vous fait endêver ! quand vous alliez sur vos trois ans, toujours à gaminer à travers champs, que j’perdais des demi-journées à courir après vous, par peur de la rivière que vous affectionniez beaucoup. En avez-vous déchiré des cottes, en jouant à cache-cache dans les broussailles ! tout de même, nous vous aimions plus que nos propres enfants ; vous étiez la viaie maîtresse ici et vous nous meniez tambour battant. Aussi, quel chagrin, quand vous êtes partie ! j’ai cru que vous alliez avoir les convulsions ; et nous, nous pleurions tous comme des veaux. Ma pau-