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venu lui rappeler cette humble famille qui l’avait aimée et soignée, toute cette époque s’était voilée, ne lui laissant que le sentiment confus d’un grand chagrin éprouvé autrefois, duquel dataient ses souvenirs et qui marquait pour elle son entrée dans la vie.

Mais voilà que le hasard soulevait brusquement ce voile tiré sur un coin de son esprit et la ramenait, au moment où elle s’y attendait le moins vers cette famille qui était un peu la sienne. Hélas ! en effet, elle ne revenait près d’elle que pour la voir périr. Que restait-il en effet de ce groupe qu’elle aurait pu aimer encore ? une pauvre fille mourante et un ivrogne.

— Comment ! se disait-elle, cet homme que j’ai vu hier est mon père nourricier ! il m’a fait sauter dans ses bras !

À ce moment, un vieux chien noir, pelé et crotté, poussa la porte et entra dans la chaumière.

— Finaud ! s’écria Lucienne, retrouvant soudain ce nom. Le chien la regarda un instant, puis continua à marcher vers la cheminée. Lui aussi avait oublié.

Le père Grialvat suivait de près le chien. Il entra bruyamment, et la malade se réveilla en sursaut.

— Tiens ! vous v’là déjà, ma belle demoiselle, s’écria-t-il ; je n’aurais pas cru que vous seriez levée si tôt.

— Tu ne reconnais pas mam’zelle ? dit Marie de sa voix faible.