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— Ça ne peut être moi, dit la femme en se relevant, je n’ai jamais évu de nourrisson.

À ce moment un faible gémissement se fît entendre ; Lucienne tourna la tête et vit, dans ce lit qui était toujours à la même place à gauche de la porte, une jeune femme pâle, presque une ombre, qui essayait de se soulever.

— Mon Dieu ! suis-je chez le père Grialvat ? demanda Lucienne.

— Vous y êtes, et voilà sa pauvre fille qui est ben malade, dit la femme. J’étais venue pour lui faire un peu de tisane ! Mais on dirait qu’elle veut vous parler.

Lucienne s’approcha vivement du lit. La malade se souleva encore.

— Êtes-vous mademoiselle Perrault ? demanda-t-elle d’une voix sourde.

— Oui, dit Lucienne.

— Alors, c’est maman qui vous a nourrie ; et moi, je vous ai portée bien souvent dans mes bras d’enfant, dit-elle en se laissant retomber sur l’oreiller et en regardant Lucienne avec une expression de joie profonde.

Une stupéfaction mêlée d’épouvante rendait Lucienne muette et pâle. Comment ! c’était le hasard qui avait fait cela ? Était-ce possible ? C’était lui qui l’avait conduite dans ce village dont elle avait oublié jusqu’au nom ? N’était-ce pas plutôt un attrait mystérieux, un souvenir parlant au cœur, avant que l’esprit soit éveillé, qui l’avait poussée à