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elle y revenait, et pendant une seconde ne pouvait s’expliquer comment elle se trouvait dans ce lieu étrange, près de ces paysans tapageurs.

Elle était mal à l’aise, inquiète, effrayée même, et par moment, perdant l’espérance de voir aboutir ses projets, elle les trouvait chimériques, en face de ces êtres si parfaitement réels parmi lesquels elle devait choisir un aide pour la seconder, un complice peut-être.

— Lorsqu’ils sauront ce que je veux, se disait-elle, ils me prendront sans doute pour une folle.

Mais ces défaillances morales étaient de peu de durée ; le souvenir de celui qu’elle aimait lui rendait bientôt le courage et la confiance.

Elle songeait à la jeune fille expirante de celui qu’on nommait Grialvat ; c’était autour du grabat funèbre sur lequel elle s’imaginait la voir que tournait la pensée de Lucienne. Elle eût bien voulu questionner encore l’hôtesse à ce sujet ; mais elle craignait de l’étonner en témoignant un intérêt si peu explicable pour une inconnue.

Vers la fin du repas, au moment où elle allait se retirer, Lucienne vit entrer dans la salle un homme petit, trapu, assez malpropre, à la face rouge et bourgeonnée, qui jeta autour de lui des regards clignotants.

Il fut salué par un concert de cris.

— C’est le père Grialvat !

— Ce vaurien de Grialvat !

— Ça va bien, vieux sans-souci ?