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de paille et se tint debout devant Lucienne d’un air étonné.

— La vendange a-t-elle été bonne cette année ? dit la jeune femme pour dire quelque chose.

— C’est-à-dire que nous manquions de tonneaux et qu’il a fallu jeter des pleines charretées de raisin au bord de la route, répondit le paysan. Ça a fait de grandes taches bleues qu’on voit encore sur le chemin de Nolay.

— Allons ! va chercher une bouteille du meilleur pour mam’selle, au lieu de nous raconter des histoires, dit l’hôtesse en mettant dans les mains de son fils une chandelle et la clef de la cave. — Nous avons tordu le cou à un poulet en votre honneur, reprit-elle en se tournant vers Lucienne. Mais vous goûterez bien tout de même à notre soupe aux choux ?

— Certainement, dit Lucienne.

Sidonie entra dans la salle, portant à deux mains une grande soupière noire, d’où s’échappait une fumée odorante. Son arrivée calma un peu la turbulence des convives, qui continuaient à se faire des niches et qui, glissant d’un bout à l’autre des bancs, les faisaient basculer, au milieu des cris, des rires et des jurons ; en voyant la soupe, ils poussèrent un hourrah de joie.

Lucienne, au milieu de tout ce bruit, par instant croyait rêver. Sa pensée s’en allait vers Adrien ; elle revoyait les derniers jours qui venaient de s’écouler, elle oubliait l’heure présente, puis brusquement