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C’était bien ce que Lucienne attendait.

— J’ai déjà vu cela, sans aucun doute, se disait-elle, profondément surprise ; ce n’est pas la première fois que je vois des bœufs rentrant d’eux-mêmes au village, rappelés par ce son de trompe. Mais où donc l’ai-je vu ? Jamais je ne suis venue ici. Et ce souvenir, malgré sa netteté, est si lointain, si perdu, qu’il semble se rattacher à une autre existence. Après tout, j’ai peut-être lu une scène analogue à celle-ci dans un livre, ajouta-t-elle, après un instant de rêverie.

Et elle se retourna vers madame Bourguignon, qui lui demandait si elle voulait dîner.

— Certainement, dit Lucienne, j’ai très-faim.

— Eh bien, descendons, dit la veuve, c’est l’heure où l’on trempe la soupe à ceux qui reviennent des champs ; vous aurez de la compagnie ; des paysans, c’est vrai, mais ça sera toujours plus gai que les quatre murs. D’ailleurs, soyez sans crainte, je vous mettrai une table à part.

— Je n’ai nullement peur de ces braves gens, dit Lucienne.

— C’est vrai qu’ils sont bien tranquilles quand ils n’ont pas bu ; mais la rivière est plus souvent à sec que leur gosier. Aussi, comment s’empêcher de boire dans un pays où on n’a qu’à tendre le bec pour qu’il vous tombe du vin dedans ?

— C’est vrai, nous sommes en Bourgogne, dit Lucienne.

La salle d’en bas, beaucoup plus longue que large