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Bourguignon ou chez m’sieu Berthan, Au Bon cep ?

— Va à la plus belle des deux, dit Lucienne.

L’enfant ôta sa casquette et se gratta la tête indécis ; mais brusquement, il remit sa coiffure, et, poussant la brouette, partit aussitôt.

Lucienne le suivit de loin. De temps en temps il s’arrêtait pour l’attendre.

Ils longeaient une route à travers les vignes qui s’étendaient à perte de vue de tous côtés avec leurs feuilles rougies et bronzées par l’automne. Presque toutes les feuilles étaient tombées déjà, et le cep nu laissait voir le court échalas auquel il s’appuie ; de sorte que les champs semblaient une forêt de pieux. Pas un arbre ne dépassait le niveau uniforme des vignes, si ce n’est, tout au fond du paysage, devant des collines gris de perle dentelées sur le ciel, une rangée de minces peupliers.

Les premières maisons du village commençaient au bord de la route qui venait aboutir à la principale rue de Chagny. Ces maisons, crépies à la chaux, de hauteur inégales, étaient laides ; elles n’avaient pas la grâce pittoresque des chaumières, ni l’élégance des maisons bourgeoises. Il fallait monter quelques marches, protégées quelquefois par une rampe verte, pour entrer dans les boutiques, chez le boulanger, chez l’épicier. Le débit de tabac dont la devanture était peinte en blanc s’ouvrait seul de plain-pied sur la rue. À chaque instant on entendait des sonnettes tinter, quand on ouvrait ou refermait des portes.