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doncement ; elles entrèrent dans la chambre à coucher, et Lucienne s’assit dans un fauteuil devant le feu qui flambait.

Que de choses s’étaient passées depuis le jour où elle avait quitté cette chambre ! Elle se souvenait maintenant du vague pressentiment qui lui avait soufflé à l’oreille, au moment où elle en sortait : « Tu n’y reviendras pas ! » Et il n’avait pas menti — car ce n’était pas la même femme qui y rentrait aujourd’hui.

Elle ne se sentait plus « chez elle » dans ce milieu, et, loin d’éprouver ce plaisir que l’on a toujours, en revenant dans un intérieur abandonné depuis quelque temps à retrouver les meubles connus qui ont l’habitude de votre corps, à revoir l’aspect que vos yeux connaissent, elle ressentait une sorte de haine pour les objets qui l’entouraient, comme s’ils eussent été des êtres vivants. Bien des souvenirs honteux étaient tapis dans l’angle des causeuses, sur les coussins moelleux éparpillés çà et là. Elle avait pu, hors de ce lieu, dans une chambre inconnue, sur un sol, que son pied foulait pour la première fois et où rien ne lui rappelait le passé, oublier parfois qu’il avait existé. Mais, là ! elle ne pouvait regarder d’aucun côté, sans voir surgir quelques scènes odieuses dans le décor même où elles s’étaient passées, et qui lui revenaient avec de cruelles réalités de détails.

Elle finit par mettre ses mains sur ses yeux, pour ne plus voir.