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rettes que l’on fumait sous le pupitre à demi ouvert. Un jour de carnaval, elle donna à Jenny un masque de velours noir qui sentait le musc.

Brusquement, on vint la chercher. Sa mère était mourante. Une fluxion de poitrine l’enleva en quelques jours.

On l’enterra sans pompe aucune, et aussitôt ses meubles furent vendus, ses dettes payées ; et il resta à Lucienne mille francs pour toute fortune.

Elle ne pouvait plus rentrer à la pension ; elle alla d’abord en apprentissage chez une modiste ; mais une des amies de sa mère lui dit : « Tu es jolie, mets-toi au théâtre, » n Elle prit donc quelques leçons de déclamation, de chant et de danse, et débuta après trois mois d’étude. Comme actrice, elle eut peu de succès ; comme femme, elle en eut beaucoup ; et elle entra de plain-pied dans la vie facile et déshonorante, sans avoir, depuis qu’elle était douée de raison, réfléchi une seule minute.

Un jour elle s’était croisée sur le boulevard avec une gracieuse jeune fille au bras de son père. C’étail Jenny. Les deux amies avaient fait un même mouvement l’une vers l’autre. Mais le père, fronçant le sourcil, avait retenu sa fille avec une phrase brusque et cruelle. Lucienne avait compris alors qu’elle était déchue, et le soir, dans son lit, elle pleura avant de s’endormir ; mais le lendemain elle n’y pensait plus.

Tous ces souvenirs se déroulaient dans la mémoire de la jeune femme pendant qu’elle tenait