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dès demain une explication avec vous et de vous quitter le soir même. Nous avons conclu ensemble un marché et nous en avons tous deux rempli les conditions ; mais j’ai, comme vous, la faculté de le rompre, et je le romps. Je tenais seulement à éviter un scandale. J’espère que vous serez aussi d’assez bonne compagnie pour ne pas vous donner en spectacle. Maintenant je suis libre, et vous êtes libre. Vous pouvez vous retirer.

Lucienne avait en parlant une telle fermeté, une telle gravité, et une vibration si méprisante dans la voix, que M. Provot, qui s’attendait à des cris et à des injures, demeura tout interdit.

Il n’avait nullement songé à se séparer de Lucienne. Rompre une habitude déjà ancienne lui eût été pénible. De plus, parmi les femmes à la mode, Lucienne était la plus séduisante ; et il était flatté d’être son amant en titre. Il savait bien qu’il ne pouvait pas exiger d’elle une fidélité d’épouse. Cependant elle ne l’avait jusqu’à ce jour jamais trompé, non par attachement pour lui, mais par indifférence pour d’autres ; et il était tout disposé à ne pas lui tenir rigueur. Il voulait tout simplement l’effrayer un peu, prendre plus d’autorité sur elle, et l’amener à être plus aimable pour lui. Enfin, il voulait lui faire une scène, comme c’était son droit ; mais la quitter cela le contrariait beaucoup.

— Il te fait donc des propositions bien magnifiques que tu abandonnes sans réfléchir une position superbe ? dit-il en écarquillant les yeux.