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— Ici, dans ce couloir, dit Lucienne vivement.

Et elle se sauva dans sa chambre, quelqu’un survenant.

À dix heures, tout le monde dormait ; il fallait se lever matin le lendemain pour partir et l’on s’était couché de bonne heure. Lucienne sortit sans bruit de sa chambre et alla rejoindre Adrien.

— Il est impossible que nous restions dans ce couloir, lui dit-il ; des garçons de l’hôtel pourraient passer. Entrons chez moi.

Lucienne fit un mouvement en arrière.

— Est-ce que vous n’avez pas confiance en moi ? dit-il.

— Oh ! si ! répondit-elle en revenant vers lui.

Ils entrèrent, et il referma doucement la porte.

Lucienne ne pouvait s’empêcher de songer à cette nuit où elle était venue jusqu’au seuil de cette chambre, poussée par une résolution qui lui semblait maintenant odieuse et dont le souvenir seul la faisait rougir.

Son âme s’était tellement débarrassée de ses anciennes impuretés, que la jeune femme se sentait aussi troublée et intimidée en se trouvant dans la chambre d’un jeune homme que si elle eût été vraiment innocente et sans reproche.

Les femmes ont de ces puissances d’oubli. Ceux qu’elles n’aiment plus cessent d’exister. Les fautes qu’elles voudraient n’avoir pas commises sont effacées de leur cœur, comme d’une ardoise sur laquelle on passe l’éponge.