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— Ma chère, il est toqué ! disait-elle, tu n’as pas idée des choses baroques qu’il m’a débitées ; je me mordais les lèvres pour ne pas pouffer de rire. Par instants, il était lugubre cependant. Il me disait qu’il voudrait me voir morte, afin de pouvoir venir pleurer sur ma tombe ; il décorait cette tombe, il la couvrait de glaïeuls, de tubéreuses, de lys d’eau ; il se voyait un genou dans l’herbe, sanglotant et écoutant chanter un rossignol. Puis il pensait qu’il valait peux-être mieux mourir lui-même, en se jetant du haut des falaises ; on le plaindrait à cause de sa grande jeunesse, et les femmes soupireraient peut-être en pensant à lui. Sa plus grande préoccupation est de paraître pâle ; aussi il met de la poudre de riz, j’en suis sûre, je la voyais sur l’ombre de moustache qui commence à ombrager sa bouche ; et il avait du noir sur ses sourcils, quand il a eu beaucoup dansé, ce noir coulait un peu. Faut-il être bête pour s’arranger comme cela, un homme ! Pourtant il a une qualité, il est extrêmement bien élevé… Mais qu’est-ce que cela me fait ? ce n’est plus à lui que je pense !

— Comment ! tu penses donc à quelqu’un ? s’écria Lucienne en riant.

Elle ne s’effrayait plus beaucoup des rêveries de son amie.

— Ne ris pas ! dit Jenny. C’est très-sérieux, et j’ai beaucoup de chagrin.

— Du chagrin ! pourquoi donc ?

— Parce que celui à qui je pense est parti.