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jamais eu un peu d’avance sur le mien, soyez certaine qu’il est depuis longtemps rejoint et dépassé. Je vous défie de m’aimer autant que je vous aime. Cet amour emplit toute ma vie : il ne peut ni cesser ni s’amoindrir. Je le sens bien à la douleur profonde que me cause la perspective de cette effrayante séparation.

— Vous travaillerez, Adrien, vous obéirez à votre mère en devenant avocat, vous gagnerez des causes, vous serez célèbre. Pendant ce temps, moi, je m’efforcerai de devenir meilleure, plus digne de vous…

Quelqu’un marchait dans le bois. Adrien abandonna vivement les mains de Lucienne, et tous deux tournèrent la tête.

Ils virent un grand vieillard à barbe blanche, coiffé d’un feutre, les jambes serrées par des guêtres, vêtu de toile grise, qui, les mains dans ses poches, marchait d’un pas ferme, suivi d’un vieux chien de chasse. Il passa à quelques pas des deux jeunes gens et les regarda avec un bon sourire ; ce sourire semblait dire : « Vous avez bien raison de vous aimer, l’amour est ce qu’il y a de mieux sur la terre ! »

— Quel beau vieillard, dit Lucienne, qui le suivait des yeux, lorsqu’il fut passé. Comme son regard est doux et limpide encore ! qui peut-il être ?

— Je crois l’avoir entendu nommer M. Lemercier, dit Adrien. On m’a parlé de lui ; c’est un ancien marin, un capitaine de frégate, je crois. À