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comme cela ; il y a de quoi mourir. Je ne puis pas plus me passer de toi que de l’air que je respire.

— Si vous m’aimez, Adrien, il faut consentir à faire ce que je vous demande ; sinon, je vous dirai adieu pour toujours.

Il la regarda quelques instants en silence.

— Cette résolution est irrévocable ? dit-il.

— Irrévocable.

— Vous m’abandonnerez si je ne me soumets pas ?

— Oui.

— Eh bien, je ferai donc ce que vous voulez, dit Adrien tristement. Pendant trois ans, je traînerai ma vie loin de vous, je tâcherai de ne pas mourir ; et, le temps venu, je vous rapporterai mon amour aussi ardent qu’il l’est aujourd’hui.

— Ah ! merci ! s’écria Lucienne en portant la main du jeune homme à ses lèvres, vous êtes bien tel que je vous souhaitais.

— Êtes-vous sûre de ne pas m’oublier, vous ?

— Vous oublier ! moi ! Mais vous n’avez donc pas compris comment je vous aime ? Vous ne vous souvenez donc plus avec quelle naïveté je vous ai laissé voir cet amour, né subitement de la première minute où je vous ai connu ? J’étais devant vous comme le lion en face du dompteur, épouvantée et charmée, et je vous ai montré sans honte la sujétion de mon âme, alors que vous sembliez me dédaigner. Mon amour est plus ancien que le vôtre ; j’ai cette gloire d’avoir aimé la première.

— Ah ! chère, s’écria Adrien, si votre amour a