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— Sans doute, je tiendrais ma promesse, dit Adrien pâle d’anxiété et avec un peu d’hésitation. Mon Dieu ! s’écria-t-il tout à coup, on vous a fait jurer de ne jamais vous marier, de vous enterrer vive dans un couvent ; exiger une pareille promesse était un acte de folie et votre serment est dérisoire.

Lucienne sourit.

— Ce n’est pas tout à fait cela, dit-elle, en pressant la main du jeune homme. Écoutez-moi avec calme ; vous saurez bientôt ce que nous devons accomplir.

— J’écoute.

— À vingt et un ans, dit-elle, ma mère, qui jusque là avait montré peu de goût pour le mariage, fut demandée par un jeune homme qu’elle avait rencontré dans un bal. Ses parents refusèrent sa main, ce jeune homme étant sans fortune et couvert de dettes. Mais il avait su toucher ce cœur jusque-là insensible. Ma mère pria, supplia ses parents de consentir à son bonheur. Ce fut en vain. Un beau jour elle s’enfuit. Elle était majeure, elle fit les sommations respectueuses et se maria à Naples, à la légation de France. Elle ne tarda pas à s’apercevoir que l’homme pour lequel elle avait tout sacrifié n’était pas digne de son amour. Il devenait brutal, hargneux, la pressant sans cesse d’écrire à sa famille pour lui demander de l’argent. Elle refusait, trop fière pour s’humilier après s’être révoltée. Bientôt il lui déclara qu’il ne l’avait jamais aimée et ne l’avait recherchée que par intérêt ; mais que, puisqu’il