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versée de lumière, particulière à la verdure des campagnes normandes. Les lambeaux du ciel à travers les branches avaient un éclat argenté que faisait valoir encore le ton sombre et chaud d’une grange profilant sur la clarté un coin de son toit de chaume. Sur le sol, velouté par les mousses et tout humide, des fougères et des herbes folles s’enchevêtraient. Partout un brouillard bleu flottait, rendant les lointains confus et donnant au paysage quelque chose de doux et d’idéal.

La main dans la main, les deux amants se taisaient. Cette paix de la nature les gagnait ; ils ne se hâtaient pas d’entamer un entretien pénible pour tous deux.

Un merle rasant le sol passa tout-près d’eux en poussant des cris stridents. Ce bruit sembla rompre le charme. Adrien serra la main de Lucienne et la regarda dans les yeux.

— Eh bien, chère, parlez, dit-il, j’aurai du courage.

Le cœur de Lucienne battait violemment ; sa voix était altérée lorsqu’elle commença.

— Vous avez perdu votre père, n’est-ce pas, Adrien, dit-elle, et je suis sûre qu’aujourd’hui encore les volontés qu’il manifestait de son vivant vous les respectez ?

— Certes, dit le jeune homme, où voulez-vous en venir ?

— Si, au moment de mourir, reprit-elle, il vous avait fait jurer d’accomplir une action quelconque, vous lui obéiriez, n’est-ce pas ?