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— Ah ! ma Lucienne, dit-il, je ne souhaite à personne d’éprouver une angoisse pareille à celle qui vient de me tordre le cœur, à la pensée que j’allais te perdre. Comme je t’aime, mon Dieu !

— Hélas ! pensa Lucienne, l’idée de la possibilité du pardon ne lui est même pas venue.

— Mais alors, pourquoi ce désespoir ? pourquoi, ces larmes ? reprit Adrien. Tu as certainement un secret, ma bien-aimée. Mais d’où le vient ce manque de confiance en moi ? Comment as-tu le courage de me laisser ignorer ce qui t’oppresse et te désole ainsi ? Je t’en conjure, tire-moi d’inquiétude, dis-moi la cause de ta tristesse.

Lucienne se taisait. Les sourcils contractés sous un effort désespéré de volonté, elle cherchait à fixer nettement une pensée qui, brusque et lumineuse comme un éclair, venait de traverser son esprit et de lui laisser entrevoir une issue à cette situation dont il semblait impossible de sortir.

— C’est donc bien terrible ? dit Adrien.

— Oui, c’est terrible, dit Lucienne répondant à sa pensée.

— Après l’horrible peur que j’ai eue tout à l’heure, rien ne peut plus m’effrayer. Parlez, Lucienne, ne me laissez pas dans cette incertitude !

— Pas ce soir, Adrien ! je suis brisée, la tête me fait mal, j’ai besoin de calme ; et ce que J’ai à vous dire pourrait faire se rouvrir l’écluse mal fermée de mes larmes. Demain je serai plus forte ; je vous promets de tout vous apprendre.