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Lucienne secouait la tête et se serrait avec une énergie fébrile contre la poitrine d’Adrien.

— Quel crime avez-vous donc commis, qui vous arrache de tels sanglots ? dit-il après un instant de silence et avec un tremblement dans la voix. Le soupçon qui m’avait traversé le cœur était donc fondé ? Vous avez aimé quelqu’un avant moi, n’est-ce pas ? Vous avez commis une faute, vous êtes indigne de mon amour ? Ah ! misérable ! s’écria-t-il en la repoussant loin de lui, pourquoi ne pas m’avoir tout avoué plus tôt ? pourquoi avoir attendu que mon amour soit devenu ce qu’il est aujourd’hui ? En m’arrachant de vous, j’arrache mon âme de mon corps, ma vie est brisée, je serai malheureux éternellement.

— Non ! non ! Adrien, ce n’est pas cela ! s’écria Lucienne, qui devant cette douleur retrouva toute son énergie. — Puisqu’il m’aime à ce point, se disait-elle, il vaut mille fois mieux le tromper et le rendre heureux que de lui écraser le cœur sous l’horrible vérité.

— Dis-tu vrai ? reprit Adrien. Peux-tu me jurer que tu n’as pas été trahie par un homme et que tu n’as aimé personne avant moi ?

— Je te le jure, dit Lucienne sans hésiter.

Et elle ne mentait pas. Aucun homme ne l’avait jamais trahie, et c’était Adrien qui le premier lui avait inspiré de l’amour.

Il la reprit dans ses bras et effleura de ses lèvres le front brûlant qui s’appuyait sur son épaule.