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Adrien, sans rien dire, l’entraîna dans un tourbillon furieux. Elle n’osait pas lui parler ; elle avait peur, sentant bien qu’il s’efforçait de lire en elle et de pénétrer son secret.

Mais le souffle manqua bientôt à la danseuse, et il dut ralentir l’élan trop rapide. Il la regarda alors avec une douceur mêlée de tristesse.

— Comme vous êtes belle ! lui dit-il. Il est impossible que d’autres ne vous aient pas aimée avant moi.

Lucienne eut un tressaillement.

— Vous doutez de moi, Adrien ? dit-elle à voix basse.

— Tenez, Lucienne, dit-il, vous êtes là, dans mes bras ; votre regard me brûle, je respire votre haleine, votre cœur bat tout près du mien, je sais que vous m’aimez et que je vous adore… Eh bien, en ce moment même, je sens qu’une partie de ce cœur est fermée pour moi.

Lucienne crispa sa main sur le bras du jeune homme ; elle chancelait.

— Il me semble que je vais m’évanouir dit-elle ; cette valse m’a tout étourdie.

Adrien la reconduisit rapidement à sa place.

— Aussi, tu l’as fait tourner trop vite, dit madame Després, en faisant respirer un flacon de sel anglais à Lucienne.

— Ce n’est rien, dit la jeune femme.

Mais elle ne pouvait plus se contenir ; toute cette gaieté autour d’elle, ce bruit, cette musique l’ac-