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— Celui qui sent sa vue trop faible pour oser regarder le soleil adore une simple étoile, dit le jeune homme d’une voix emphatique.

— Vous aimez beaucoup à parler des étoiles.

— J’aime les étoiles, j’aime la mer.

— Vous serez marin, n’est-ce pas ?

— Non, je ne crois pas, ma mère serait trop malheureuse.

— Ah ! je croyais que vous alliez partir pour un long voyage.

— Je vois que vous connaissez mon secret, dit le jeune Max en soupirant. J’ai osé écrire à mademoiselle Jenny, votre amie.

— Je le sais, en effet ; c’est moi qui vous ai répondu.

— Ah ! mon Dieu ! elle ne m’aime pas ? elle se moque de moi ?

— C’est assez vraisemblable, dit Lucienne.

— Quel bonheur ! s’écria Max, je vais être très-malheureux, je vais souffrir d’une peine d’amour ; le désespoir va me briser le cœur.

Lucienne ne put s’empêcher de rire, à cette réponse tout à fait inattendue ; mais sa gaieté dura peu.

— Vous êtes un enfant, dit-elle ; ne parlez pas légèrement de choses que vous ignorez.

— Si je suis un enfant, la douleur fera de moi un homme, dit Max. L’amour malheureux n’est-il pas beaucoup plus violent et plus profond que l’autre ; dès qu’il est réciproque, l’amour devient banal.