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dit Jenny gravement. Ou m’a enseigné qu’il vaut mieux mourir que de commettre certaines actions. Et elle ajouta en riant : — Ah çà ! pourquoi me fais-tu toutes ces questions saugrenues ?

— Pour savoir, dit Lucienne ; je songeais à ce que j’aurais fait sans mon oncle, quand je sais devenue orpheline.

— C’est vrai que ta position eût été affreuse, pauvre mignonne, dit Jenny ; mais puisque ton oncle est là et qu’il te gâte et t’aime comme si tu étais sa fille, il est bien inutile de te fourrer toutes ces vilaines idées dans la tête.

Et Jenny embrassa son amie avec effusion.

Lucienne évitait autant qu’elle le pouvait d’être seule avec Adrien. Décidée à reculer le plus loin possible l’instant fatal de l’explication, elle craignait les questions pressantes qu’il lui adressait. Il ne comprenait pas pourquoi elle hésitait ainsi à consentir à leur bonheur, et le suppliait de ne parler de leur amour ni à madame Després ni à M. Provot.

Un jour, ils étaient allés s’asseoir, à l’ombre d’un petit bois, sur la falaise. Jenny était avec eux. Lucienne travaillait à ce fameux ouvrage au crochet qu’il fallait toujours défaire, et qui avançait fort peu.

Adrien, étendu sur l’herbe devant elle, la regardait, et quelquefois tirait le fil qu’elle tenait enroulé à son doigt. Alors elle levait les yeux en souriant, mais les points tombaient et l’ouvrage s’embrouillait de plus en plus, à la grande hilarité de Jenny.